Avant Nicopolis: la campagne de 1395 pour le contrôle du Bas-Danube

Battle of Nicopolis Avant Nicopolis: la campagne de 1395 pour le contrôle du Bas-Danube

Dan  Ioan  Mureşan  (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris)

L’armée croisée affluait au début de l’été 1396 vers Nicopolis sur deux directions[1]. Le corps principal, ayant le roi Sigismond (1387-1437) a sa tête, descendait sur le cours du Danube. Il fit la jonction à Nicopolis avec un corps secondaire, fort d’à peu près 4-5.000 chevaliers, sous la commande conjointe du voïévode de Transylvanie Stybor de Styboricz (1395-1401, 1410-1414) et le prince de Valachie Mircea Ier (1386-1418), corps qui avait aventureusement traversé la plaine valaque, en partance de la courbure des Carpates. En effet, les deux commandants avaient eu leur passage bloqué par «une grande armée de Turcs et de Valaques» du prince rival de Mircea, Vlad Ier (1395-1397) étant contraints à mener «une grande bataille» pour se frayer le chemin vers le Danube. Lors de la confrontation, Stybor avait réussi à charger personnellement Vlad, le blessant grièvement, en l’obligeant ainsi à se retirer et à céder le passage à l’armée alliée, qui put gagner le lieu de rencontre des croisés[2]. Cet épisode soulève la question de l’accessibilité du Bas-Danube par les forces armées de la coalition, comme étape préliminaire du déclenchement de la croisade de Nicopolis.

L’alliance anti-ottomane de l’année 1395 repose sur une initiative commune byzantine et hongroise[3]. L’Empire byzantin avait connu une grave crise lorsque l’empereur Jean V (1341-1391) avait été renversé par son petit-fils Jean VII, qui s’était emparé ainsi du trône impérial avec le soutien de Bayezid Ier Yıldırım (mars-sept. 1390)[4]. Restauré par l’intervention rapide de son fils Manuel avec le concours des chevaliers de Rhodes, le vieil empereur vécut ses derniers jours toujours comme un vassal du sultan, avec son successeur pratiquement otage à la cour du sultan. A la mort de son père, Manuel II Paléologue (1391-1425) échappa à l’emprise de Bayezid Ier, gagna Constantinople et fut couronné basileus à Sainte-Sophie par le patriarche Antoine IV (le 11 févr. 1392)[5]. Ce couronnement fut accompagné du mariage de l’empereur avec Hélène, fille du dynaste serbe Constantin Dragaš. La description d’un témoin oculaire nous fournit cependant un détail particulièrement intéressant: dans la capitale impériale il y avait aussi une délégation hongroise venue pour assister à ce grandiose événement[6]. Encore plus, entre Byzance et la Hongrie fut échangée durant l’été 1392 une intense correspondance secrète par l’entremise du prince de Valachie, Mircea Ier(1386-1418)[7]. De par les anciennes relations suzeraines et vassaliques avec la Hongrie, ainsi que par ses rapports ecclésiastiques avec le Patriarcat de Constantinople, la Valachie était l’interlocuteur privilégié entre le basileus Manuel II et le roi Sigismond. En septembre-octobre 1393, le patriarche Antoine IV adressa au grand duc de Moscou une fameuse apologie de la relation inextricable entre l’Eglise et l’Empereur. Il va de soi que cette formidable articulation de l’idée impériale byzantine avait, aux yeux du patriarche œcuménique, la même valeur pour toute la famille des princes orthodoxes, donc y compris pour les princes des Pays roumains, Mircea Ier de Valachie et Roman Ier de Moldavie (1392-1394), auxquels la lettre fait référence en tant que «petits souverains».

[smartads]

«Tu dis: nous avons une Eglise chez nous; nous n’avons pas d’empereur et nous n’en faisons aucun cas; ce n’est rien de bon. L’empereur tient dans l’Eglise une place que ne peut avoir aucun souverain local […] Sans doute les païens (ethnè) ont investi le pouvoir et la place de l’empereur; il n’en reçoit pas moins aujourd’hui de l’Eglise la même ordination, le même rang, les mêmes prières, et la grande onction le sacre empereur et autocrator des Romains, c’est-à-dire de tous les chrétiens […] son prestige est tel que les Latins eux-mêmes lui accordent le même honneur et la même soumission qu’autrefois, lorsqu’ils étaient unis à nous. Ce n’est pas une raison, parce que les païens ont encerclé le territoire de l’empereur, pour que les chrétiens méprisent l’empereur. Si le maître de la terre est réduit à une telle étroitesse territoriale, c’est une leçon pour d’autres petits souverains. […] Non, mon fils, tes projets ne conviennent pas, car pour les chrétiens il n’y a pas d’Eglise sans empereur, Empire et Eglise sont étroitement unis»[8].

Dans cette lettre le patriarche œcuménique s’inscrivait en faux contre une nouvelle manière de penser qui émergeait dans le monde orthodoxe, et qui voulait séparer la conception monolithique byzantine de la symphonie entre Empire et Eglise, afin de s’en tenir seulement à la dernière. On a souvent analysé cette lettre du point de vue des constantes de l’idéologie politique byzantine qu’elle affirme. On l’a moins lu selon les données contextuellesqu’elle implique. L’allusion au moment difficile que vivait la capitale entourée, et bientôt assiégée, par les «païens» donne à ce texte un caractère anti-ottoman. Face à la dispersion entre les chrétiens orthodoxes, que les Ottomans encourageaient volontairement, le patriarche prônait pour une coalition autour du symbole moral et historique que constituait encore le basileus. Il ajoutait un détail non moins significatif: même les Latins reconnaîtraient le basileus comme empereur. C’est le signe que les pourparlers avec les puissances occidentales étaient déjà entamés, ayant comme point acquis fondamental pour les Byzantins, la reconnaissance du titre impérial de Manuel II (l’«empereur grec» du religieux de Saint-Denys), alors qu’en réalité il n’était plus qu’un petit vassal ottoman.

* Une première forme, moins étendue, de cette étude a été publiée dans la Revue Internationale d’Histoire Militaire, LXXXIII, Vincennes, 2003, p. 115-132 (Numéro présenté à l’Occasion du Congrès international d’Histoire militaire, Bucarest, Août 2003).

[1] Voir en dernier lieu, avec toute la bibliographie et une nouvelle évaluation du problème, E. A. Antoche, «Les expéditions de Nicopolis (1396) et de Varna (1444): une comparaison», dans Mediævalia Transilvanica, IV, no. 1-2, 2000, pp. 28-74.

[2] Episode raconté par Sigismond de Luxembourg dans le diplôme octroyé en 1397 à Stybor: Documenta Romaniae Historica, D, tome I, p. 162, p. 167 (à suivre, DRH).

[3] M. Kintzinger, «Sigismond, roi de Hongrie et la croisade», Annales de Bourgogne, LXVIII, no. 3, 1996, pp. 23-33.

[4] St. W. Reinert, «The Palaiologoi, Yıldırım Bāyezīd and Constantinople: June 1389-March 1391», dans To Ellhnikon. Studies in Honor of Speros Vryonis Jr., tome I, New Rochelle (NY), 1993, pp. 289-365.

[5] St. W. Reinert, «Political Dimensions of Manuel II Palaiologos’ 1392 Marriage and Coronation: Some New Evidence», dans Claudia Sode, Sarolta Takács, Novum Millenium. Studies on Byzantine History and Culture dedicated to Paul Speck, Ashgate, 2001, pp. 291-303.

[6] Ignatius de Smolensk, dans G. P. Majeska, Russian Travellers to Constantinople in the Fourteenth and Fifteenth Centuries, Washington D. C., 1984, pp. 106-107.

[7] Ş. Papacostea, «Bizanţul şi cruciata la Dunărea de Jos la sfârşitul secolului al XIV-lea» [Byzance et la croisade au Bas-Danube à la fin du XIVe siècle], dans Evul Mediu românesc, Realităţi politice şi curente spirituale, Bucarest, 2001, pp. 47-70, ici p. 54, n. 16.

[8] Jean Darrouzès, Les regestes des actes du Patriarcat de Constantinople: Les actes des patriarches (Le Patriarcat byzantin, série I), tome I/6, Paris, 1979, no. 2931, pp. 210-212.

[9] G. Ostrogorsky, «Byzance, état tributaire de l’empire turc», dans Zbornik Rad. Viz. Inst., V, 1958, pp. 49-58.

[10] P. Engel, «A török-magyar háboruk első évei 1389-1392», dans Hadtörténelmi Közleménvek, CI, no. 3, 1998, pp. 562-577.

[11] J. Fine, The Late Medieval Balkans. A Critical Survey from the Late Twelfth Century to the Ottoman Conquest, Ann Arbor, 1994, pp. 423-424: après l’échec de son règne de 1390, l’empereur byzantin Jean VII conservait en tant que vassal ottoman un vaste apanage depuis Selymbria (Mer Marmara) jusqu’à Messembrie (sur le littoral pontique). C’est à lui que Bayezid octroya en 1391 les parties de Dobroudja arrachée de Mircea Ier, en tant qu’ancienne possession byzantine.

[12] A. Decei, «L’expédition de Mircea Ier contre les akinci de Karinovasi (1393)», dans Revue des Etudes Roumaines, I, 1953, pp. 130-151.

[13] E. Mályusz, Zsigmondkori Oklevéltár [Regestes des documents de l’époque du roi Sigismond], tome I, (1387-1399), Budapest, 1951, no. 3464: mai 1394–le début des pourparlers entre le roi Sigismond et le prince Mircea.

[14] DRH, D, tome I., no. 87, pp. 138-142: le traité stipule de manière détaillée les conditions dans lesquelles Mircea s’engageait à collaborer militairement et logistiquement aux projets du roi Sigismond «contre nostros specialissimos hostes, Turcos», tant offensifs que défensifs. La présence personnelle de Mircea à la tête des corps à envoyer au roi était conditionnée de la présence personnelle de Sigismond. Mircea accentue qu’il consent à ces obligations «sponte et ex mera nostra liberitate, non cohacti neque circumventi». Une dernière analyse: M. Diaconescu, «The relations of vassalage between Sigismund of Luxemburg, king of Hungary, and Mircea the Old, voivode of Wallachia», dans Mediævalia Transylvanica, II, no. 2, 1998, pp. 245-282, ici pp. 273-274, qui le considère un acte additionnel à l’hommage de Mircea envers le roi Sigismond.

[15] St. W. Reinert, «The Muslim presence in Constantinople, 9th-15th c.: Some preliminary Observations», dans H. Ahrweiler, A. Laiou,Studies on the Internal Diaspora of the Byzantine Empire, Washington D. C., 1998, pp. 144-147.

[16] P. Gautier, «Un récit inédit du siège de Constantinople par les Turcs (1394-1402)», dans Revue des études byzantines, XXIII, 1965, pp. 100-117.

[17] K. M. Setton, The Papacy and the Levant (1204-1571), tome I, The Thirteenth and Fourteenth Centuries, Philadelphia, 1976, pp. 342-343.

[18] Ibidem, p. 343.

[19] N. Očarov, «Le tsar bulgare Ivan Alexandre II», dans Etudes balkaniques, no. 3-4, 1997, pp. 119-124; K. Ivanova, «Un renseignement nouveau dans un manuscrit bulgare du XIVe siècle au sujet de la résistance du tsar Ivan Sišman contre les Ottomans près de Nikopol», dansEtudes balkaniques, no. 1, 1988, pp. 88-93.

[20] Conclusion partagée aussi par C. Imber, The Ottoman Empire, 1300-1481, Istanbul, 1990, p. 43.

[21] Ibidem, pp. 42-43.

[22] H. Inalcık, «An ottoman document on Bayazid I. Expedition into Hungary and Wallachia», dans Publications du Comité d’Organisation du Xe Congrès International d’Etudes Byzantines, Istanbul, 1957, pp. 220-222; voir aussi A. Decei, «Deux documents turcs concernant les expéditions des sultans Bayazid I et Murad II dans les Pays roumains», dans Revue Roumaine d’Histoire, XIII, 1974, pp. 395-413. Il s’agit du document Topkapi no. 6374, qui pour H. Inalcık serait un rapport technique préparé pour Mehmed II en vue d’une expédition en Hongrie ou Valachie, à la différence de Decei qui le considère, sans doute de manière erronée, une simple gesta pour les jeunes membres de la cour ottomane.

[23] Fragment republié par Ş. Papacostea, «Mircea cel Bătrân şi Baiazid. O întregire la cunoaşterea confruntărilor lor armate» [Mircea l’Ancien et Bayezid. Une contribution à la connaissance de leurs confrontations armées], dans Idem, Evul Mediu românesc. Realităţi politice şi curente spirituale, Bucarest, 2001, pp. 71-74.

[24] Dernière édition de cette chronique, avec texte slavon et traduction roumaine, chez D. Năstase, «Cronica expansiunii otomane, 1296-1417» [La chronique de l’expansion ottomane, 1296-1417], dans L. Leuştean, M. M. Székely, M. R. Ungureanu et P. Zahariuc, In honorem Ioan Caproşu. Studii de istorie, Jassy, 2002, pp. 227-268, ici p. 255 (rom.), p. 263 (slav.). Une édition en français préparée par le même spécialiste est à paraître dans la revue Summeikta d’Athènes, mais nous avons pu déjà consulter le manuscrit par la bonne volonté de M. Năstase, à qui nous remercions ici.

[25] Voir en général F. Szakály, «Phases of Turco-Hungarian Warfare before the battle of Mohács (1365-1526)», dans Acta Orientalia Academiae Scientiarum Hungaricae, XXXIII, 1979, pp. 65-111.

[26] Œuvres de Froissart, Chroniques, éd. K. de Lettenhove, tome XV, Bruxelles, 1871, pp. 216-217.

[27] Sur les fondements de l’idée impériale ottomane et la place symbolique qui y détenait la domination de Constantinople, voir H. Inalcık, «The policy of Mehmed II toward the Greek Population of Istanbul and the byzantine buildings of the City», dans Dumbarton Oaks Papers, XXIII-XXIV, 1969-1970, pp. 233-234.

[28] [28] Ş. Papacostea, Evul Mediu românesc, p. 73: «In questo tempo del mese di maggio 1395, avendo il Re d’Ungheria raunata molta gente d’arme per riparare che il Baisetto, figliuolo del Moratto Bai turco, il quale piú di cento cinquanta migliaia d’uomeni armati venia addosso per torli il reame d’Ungheria».

[29] K. M. Setton, op. cit., p. 344.

[30] Chronique du religieux de Saint-Denys, contenant le règne de Charles VI de 1380 à 1422, reproduction de l’éd. de M. L. Bellaguet (1842), tome I/2, Paris, 1994, pp. 388-389: «Cette année il [le sultan ottoman–n. n.] avait amené avec lui à travers la Valachie et la Bulgarie, qui étaient devenues de provinces de son empire, une multitude si prodigieuse de Turcs, qu’il se flattait de soumettre bientôt à sa puissance toute la chrétienté».

[31] Ibidem.

[32] K. M. Setton, op. cit., p. 345.

[33] «[…] ed essendo li loro campi vicino l’uno all’altro e ordinato ciascuno di loro la sua gente a battaglia, ciascuno confortati li suoi a bene operare a valentemente l’una parte e l’altra combatterono, e con buon animo corsero alla bataglia, nella quale molta gente fu morta; ma molti più de’ Turchi che di Cristiani vi morirono, ma niuna delle parti il dì fu vinta».

[34] O. Halecki, Jadwiga of Anjou and the Rise of East Central Europe, New Jersey, 1991, p. 107, p. 220.

[35] I. Karácsonyi, «Mária királyné halála napja», dans Százodok, XLI, 1907, pp. 461-463; pour les historiens roumains, voir surtout S. Iosipescu, «De la bătălia de la Rovine la Istoria Polonă a lui Jan Długosz», dans Anuarul Institutului de Istorie şi Arheologie A. D. Xenopol, XXIII, 1986, pp. 707-712.

[36] M. Salomon, «On the credibility of an item in Jan Długosz’s Chronicle: Mai 17, 1395–the date of the battle of Rovine or of the death of queen Mary?», dans Mélanges d’histoire Byzantine offerts à Oktawiusz Jurewicz à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire (Byzantina Lodziensia III), Łódź, 1998, pp. 164-170.

[37] Voir par exemple Istoria militară a poporului român, tome II, Bucarest, 1986, pp. 167-171, et la carte p. 169.

[38] O. Iliescu, «Vlad Ier, voïvode de Valachie: le règne, le sceau et les monnaies», dans Revue Roumaine d’Histoire, XXVII, no. 1-2, 1988, pp. 96-100 (sur la filiation de Vlad Ier).

[39] Johannes de Thurocz, Chronica Hungarorum. Textus, éd. Elisabeth Galantái, J. Kristó, Budapest, 1985, p. 224: «Et cum Daan [ici le nom de Vlad est confondu avec le nom de son père–n. n.] suas partes debilitari agnovit, preceps Thurcorum quesivit subsidium, et illo potitus partem alteram [Mircea–n. n.] coegit in fugam».

[40] V. Pervain, «Din istoria relaţiilor Ţării Româneşti cu Ungaria la sfârşitul secolului al XIV-lea» [De l’histoire des relations de la Valachie avec la Hongrie à la fin du XIVe siècle], dans Anuarul Institutului de Istorie şi Arheologie, XVIII, 1975, pp. 100-101; c’est cette escarmouche, dramatique plutôt par l’origine noble d’Etienne Loszoncz que par les dimensions du corps militaire vaincu, qui fit sa place dans la Chronique du religieux de Saint-Denis, pp. 388-389.

[41] DRH, D, tome I, no. 108, p. 177.

[42] A. Decei, Deux documents turcs, pp. 401-402.

[43] Al. V. Diţă, Mircea cel Mare. Intre realitatea medievală şi ficţiunea istoriografică modernă [Mircea le Grand. Entre la réalité médiévale et la fiction historiographique moderne], Bucarest, 2000, passim.

[44] G. Sp. Radojcić, «La chronologie de la bataille de Rovine», dans Revue Historique du Sud-est Européen, V, 1928, pp. 136-139. Cette bataille intéresse les chroniques serbes pour avoir été la causé de la mort de Constantin Dragaš, le beau-père de l’empereur Manuel II Paléologue, et de Marko Kraljević, devenu héros du folklore balkanique, contraints à participer à la campagne de Hongrie et de Valachie en tant que vassaux du sultan. Ces chroniques placent la bataille dans l’année byzantine 6903 (1er sept. 1394-31 août 1395). Du reste, sur 39 chroniques serbes qui parlent de la bataille de Rovine, seulement 10 en donnent la date de 10 octobre: mais il s’agit dans ce cas des plus récentes. Autrement, dans le typikon de Romain, la mort de Constantin Dragaš est commémorée le 17 mai, ce qui tombe dans l’année 1395 après J.-C. Aussi, en octobre 6904 (1395) l’empereur Manuel II Paléologue et l’impératrice Hélène Dragaš accordaient une grande donation au monastère de Petra à Constantinople pour quatre commémoraisons de Constantin: deux pour les quarante jours et les trois mois à suivre à son décès (qui avaient déjà été officiées), et les deux autres après six et neuf mois. L’historien serbe d’en conclure que la mort de Constantin est à placer à Rovine à ce moment (en octobre 1395) moins de six mois auparavant, ce qui correspond plutôt au 17 mai 1395 qu’au 10 octobre 1394. Voir aussi Al. V. Diţă, op. cit., p. 165-242.

[45] L’esquisse de la bataille de Rovine de Istoria militară a poporului român, tome II, p. 171, est complètement imaginaire: la contre-attaque de l’armée roumaine sur le côté gauche de l’armée ottomane n’est attesté par aucune source existante!

[46] L. Chalcocondyle, Expuneri istorice, éd. V. Grecu, Bucarest, 1958, p. 64.

[47] Sur la localisation de la bataille dans la région de la capitale de la Valachie, où une couche de ceindre découverte par les archéologues dans la cour princière semble indiquer une trace d’un incendie à la fin du XIVe siècle, voir Al. V. Diţă, op. cit., pp. 285-295.

[48] M. Guboglu, M. Mehmet, Cronici turceşti privind Ţările Române. Extrase, tome I, Sec. XV-mijlocul sec. XVII, [Chroniques turques concernant les Pays roumains. Extraits], Bucarest, 1966: Enveri, Düsturname, p. 39; Orudj bin Adil, Tevarih-i al-i Osman, pp. 48-49.

[49] Ş. Papacostea, Evul Mediu românesc, p. 73: «Poi l’altro dì, ricominciata tra loro battaglia aspra e crudele e presso che tutto il dì combattutisi insieme con grande mortalità, dell’una parte et dell’altra, pure alla fine il campo rimase al Baisetto e a’ Turchi, comecché molti più furono morti de’ Turchi che de’ Cristian».

[50] D. Năstase, op. cit., p. 255, p. 263: «Et tellement innombrables fut la multitude des javelots lancés, qu’on ne pouvait pas voir l’air du fait de la multitude des flèches et la rivière coulait ensanglantée de la multitude des cadavres humains».

[51] C’est ici que nous prenons nos distances par rapports aux conclusions de l’ouvrage d’Al. V. Diţă, op. cit., pp. 243-283, et pp. 297-386. Dans sa démarche, très méritoire du point de vue de la critique des sources et de l’historiographie (aucune autre bataille médiévale roumaine ne bénéficie pas encore d’un traitement similaire!), l’auteur accuse une grande partie de l’historiographie étrangère et roumaine d’avoir été conduite par le postulat d’une défaite de Mircea par le sultan Bayezid, le 10 octobre 1394, en fonction duquel les sources aurait été déformées. Il risque toutefois de retomber dans le même piège, à cette différence près que le postulat est cette fois-ci contraire: il s’agirait d’une «victoire écrasante» de Mircea sur le sultan, datée le 17 mai 1395. Cependant, plusieurs points posent problème. 1)La chronique turque publiée par Inalcık est ignorée, suivant l’analyse de Decei: la seule source qui nous renseigne sur le trajet précis du sultan en 1395 est donc laissée à côté. 2)Par conséquent, l’auteur ne peut pas rendre compte de la confrontation directe entre Bayezid et Sigismond dont parlent la Chronique de Saint-Denis et la Chronique florentine, et que la chronique ottomane localise en Banat. 3)La chronique «de Tismana», dite byzantino-bulgare, est aussi sous-estimée, l’auteur la considérant comme interpolée, alors qu’elle est contemporaine, et exprime le point de vue de Mircea (voir D. Năstase, op. cit.): c’est la raison pour laquelle Vlad y est considéré un simple «vlastelin» (pp. 307-313). 4)L’auteur postule après la libération en commun de Turnu une rupture de l’alliance chrétienne et la défaite de Sigismond par Mircea en septembre 1395: comment expliquer alors que les deux se retrouvent ensuite ensemble à Nicopolis, dans les meilleurs termes, chose incompréhensible après une telle «trahison»? 5)Comment un prince qui «écrase» entre mai et septembre 1395 deux des plus puissants monarques de l’Europe se fait renverser ensuite par une poignée de boyards qui instaurent à sa place Vlad au début 1396? 6)De la reconstruction de l’auteur résulte enfin un autre paradoxe: comment se fait-il que le prince roumain a pu emporter tout seul une «victoire écrasante» en 1395 sur Bayezid, alors que Mircea, allié avec Sigismond et les chevaliers bourguignons sont tous écrasés par le même sultan à Nicopolis en 1396? Même si, au bout de l’analyse de l’auteur résulte, à notre avis sans doute, que la confrontation de Rovine est à situer dans les environs du 17 mai 1395, l’issue heureuse pour la Valachie de cette bataille n’est pas du tout corroborée par les sources.

[52] Ş. Papacostea, Evul Mediu românesc, p. 73.

[53] D. Năstase, op. cit., p. 255, p. 263.

[54] V. Panaite, The Ottoman Law of War and Peace. The Ottoman Empire and Tribute Payers, Boulder-New York, (East European Monographs), 2000, pp. 156-159.

[55] A. Decei, op. cit., p. 402: La fasl ottomane raconte que «le Feu Yıldırım passa la rivière d’Argeş et s’arrêta devant la forteresse de Nicopolis. Le pays de Nicopolis avait à l’époque un beg Šišman de par son nom, et qui, tout comme le voïévode roumain, payait tribut au souverain. Pour qu’il puisse gagner l’autre rive du Danube, il demanda à celui-là des embarcations et comme celui-là lui en prêta, dès qu’il se trouva de l’autre côté (du fleuve), il fit amener ledit Šišman, le décapitant et en conquérant Nicopolis aussi, la transforma en sandjak».

[56] Comme le rappelle Sigismond de Luxembourg dans un acte de 1404: DRH, D, tome I, no. 108, pp. 177-178.

[57] D. Năstase, op. cit., p. 255, p. 263; H. Inalcık, «The Ottoman Turks and the Crusades», dans K. M. Setton, A History of the Crusades, tome VI, Wisconsin, 1989, p. 251, no. 74. Malheureusement, dans ce texte le grand historien turc date l’expédition en Hongrie en 1394, bien que la brève chronique qu’il a publiée met de manière univoque l’exécution de Jean Šišman justement à la fin de la campagne en Hongrie et en Valachie. De sorte que, établir la date de la mort de l’ancien tsar est en même temps établir rétroactivement la date de la campagne entière. Cependant, dans H. Inalcık, «Bāyezīd Ier», Encyclopédie de l’Islam, tome I, Leiden–Paris, 1975, p. 1152, il avait accepté 1395 comme date de l’expédition en Hongrie et Valachie.

[58] N. Očarov, op. cit., pp. 119-120.

[59] A titre de comparaison du rythme d’une campagne ottomane, voir N. Beldiceanu, «La campagne ottomane de 1484: ses préparatifs militaires et sa chronologie», Revue des Etudes Roumaines, V-VI, 1960, pp. 67-77: 26 avril–mobilisation de l’armée; fin mai–départ d’Andrinople; le 26 juin–passage du Danube et jonction avec l’armée valaque; le 5-16 juillet: siège de Kilia; le 22 juillet-8 août–siège d’Akkerman; 14 août: départ d’Akkerman; passage du Danube en Dobroudja. L’action militaire proprement dite dura ainsi un mois et demi. Notons que justement la rapidité dans ses déplacements a apporté à Bayezid son surnom. De plus, il agissait dans une région dont le système défensif n’était pas encore mise au point.

[60] Chronique du religieux de Saint-Denys, pp. 424-425.

[61] P. Wittek, «Le Sultan de Rûm», L’Annuaire de l’institut de philologie et de l’histoire orientale et slave, VI, Bruxelles, 1938, pp. 20-22 et Idem, «De la défaite d’Ankara à la prise de Constantinople (un demi-siècle d’histoire ottomane)», Revue des Études Islamiques, XII, no. 1, 1938, p. 8, place cette demande à la fin de l’année 1394; I. H. Danişmend, Izahli Osmanlı Tarihi Kronolojisi, tome I, Istanbul, 1947, pp. 103-104 (titre sollicité en 1395), p. 107 (et reçu après la victoire de Nicopolis); A. Decei, Istoria Imperiului otoman până la 1656 [Histoire de l’Empire ottoman jusqu’à 1656], Bucarest, 1978, p. 64 (1395).

[62] DRH, D, tome I, no. 99, no. 101, no. 112.

[63] Ibidem, no. 99, p. 155.

[64] V. Pervain, op. cit., surtout pp. 110-112 (l’identification de la Posada lui appartient); description de la bataille de Posada dans DRH, D, tome I, no. 99, pp. 155-157.

[65] V. Pervain, op. cit., p. 112; O. Iliescu, op. cit., pp. 78-79.

[66] O. Iliescu, op. cit., p. 79; cf. la référence de Sigismond à «iniquus Wlad woyuoda, protunc per dictos Turkos ad wayuodatum dictarum parcium nostrarum Transalpinarum intrusus fuerat et promotum» (DRH, D, tome I, no. 101, p. 162). L’auteur prend en discussion (p. 101) les opinions de Al. V. Diţă sur la bataille de Rovine. Ce dernier auteur, tout en considérant correcte la date de 17 mai 1395 (ce qui est corroboré par les sources), s’ingénie ensuite de les tordre afin d’en faire une écrasante victoire de Mircea Ier (affirmation qui n’est plus soutenue ni même par la chronique de Tismana, qui reflète tout de même un point de vue censé favorable au prince de Valachie).

[67] Eudoxiu de Hurmuzaki, Documente privitoare la istoria românilor, tome I/2, Bucarest, 1876, no. CCCXVI, pp. 374-375: après avoir rejeté les propositions de Sigismond, Vlad déclare reconnaître la reine Hedwige comme seule héritière légitime de la couronne de Hongrie, et c’est en qualité de rois de Hongrie qu’il leur prête hommage. L’intitulatio de Vlad dans ce document est «Woywoda Bessarabie» et «ban (et non comte) de Séverin»; cf. O. Iliescu, op. cit., p. 81, qui ne montre pas d’où pouvait tirer Vlad la maîtrise de cette forteresse.

[68] En 1397, après la bataille de Nicopolis (le 25 septembre 1396), le voïévode de Transylvanie Stybor de Styboricz revient en Valachie, assiège et fait capituler Vlad Ier dans la Cité de Dâmboviţa, en l’emportant ensuite en Hongrie. Mircea Ier fut ainsi réinstallé sur le trône de la Valachie entière (DRH, D, tome I, p. 163, pp. 167-168).

[69] Ibidem, no. 108, pp. 177-178: «et nous, apprenant cette cruauté iniquité cruelle dudit Bayezid, […] nous avons arraché, surtout, la cité de la Petite Nicopolis que nous évoquions, d’entre les mains de son armée».

[70] Lettre citée par J. Darrouzès, Regestes, tome I/6, no. 3011, p. 277.

[71] DRH, D, tome I, no. 105, p. 172.

[72] J. W. Barker, Manuel II Palaelogus (1391-1425). A Study in Late Byzantine Statesmanship, New Brunswick (N. J.), 1969, pp. 131-132.

 

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